Comme de grands seigneurs vous avez choisi la haine.
Celle qui déferle sur les parias qui vous menacent :
les envieux, les mesquins croupissant n’importe où.
Les sans-allure ni argent qui viennent vous narguer
aux feux rouges, quêtant au hasard, hébétés.
Vous ne supportez pas la crasse de l’échec,
les sourires édentés, le désordre des esprits.
Ayant en aversion les faibles, vous avez amassé,
autant qu’il le fallait, des biens et des fortunes.
Vous avez fait du contrôle de la dette
le premier dogme, la mère des lois
qui mène au bonheur de tous les conformistes
surgissant à chaque instant.
Le spectre de l’anarchie vous guette comme l’ennui.
Durant votre sommeil, craignez la lèpre
du désœuvrement.
Nul ne vous immunisera contre les rigueurs
du temps qui passe.
Vous serez sans recours contre le roulis des glaciers
qui dévalent du nord et emportent avec eux
les prétentions des hommes.
Ne vous surprenez pas si des récits et des poèmes
rapportent plus tard qu’aucune trace de votre œuvre
n’a été retrouvée.
Marcel Labine, «Hapax de la haine», Bien commun, Montréal, Les Herbes rouges, 2018, p. 175-176.